Un Voyage au Cœur de Fès
Plongez dans les récits enchanteurs d'une enfance marocaine, où chaque visite est une aventure et chaque rencontre, une leçon de vie.
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Une Visite Chaleureuse chez Lalla Aïcha
Au début du printemps, ma mère et moi avons rendu visite à Lalla Aïcha. Nous avons apporté des gâteaux de semoule, des petits pains à l'anis, et du sellou. Driss le teigneux nous a rejoints avec un couffin rempli de provisions, un poulet, du pain de sucre, du thé et de la menthe. Lalla Aïcha a protesté contre ces "folles dépenses", car elle s'était déjà préparée pour notre venue.

Un geste de générosité : La tradition marocaine veut que l'on ne vienne jamais les mains vides chez l'hôte, même si celui-ci a déjà tout prévu.
Le Charme Désuet de la Maison de Lalla Aïcha
Lalla Aïcha habitait une maison à la porte basse dans l'impasse de Zankat Hajjama. Cette demeure, comme elle, avait connu des temps meilleurs, conservant une distinction désuète. Elle occupait deux petites pièces au deuxième étage. La pièce principale s'ouvrait sur un balcon en fer forgé donnant sur le patio, tandis que l'autre servait de cuisine et de garde-manger pour l'hiver.
La grande pièce, méticuleusement propre, était ornée de cretonnes fleuries, de coussins brodés et d'étagères garnies de faïence européenne. Une pendule sculptée occupait la place d'honneur. Le sol était couvert d'une natte de jonc et d'une carpette vive, créant une atmosphère d'aisance et de quiétude, un véritable nid douillet.
Échanges et Portraits de Famille
Les Récits de Ma Mère
Lalla Aïcha nous a servi des gâteaux et du thé. Elle a parlé de ses douleurs, puis ma mère a raconté des anecdotes sur nos voisins, avec une grande liberté de langage, comparant le mari de Rahma à un âne et celui de Fatma Bziouya à un rat. Même mon père, "l'Homme", n'échappait pas à ses caricatures.
Mon Père, l'Homme Silencieux
J'aimais mon père, que je trouvais très beau avec sa peau dorée, sa barbe noire et ses yeux sereins. Il parlait peu et priait beaucoup, contrairement à ma mère, plus amusante et gaie. Malgré sa beauté, elle ne se souciait pas de sa coquetterie et s'ingéniait à paraître plus vieille que son âge.
Les Louanges de Lalla Aïcha
Lalla Aïcha a ensuite loué les femmes de sa maison, les décrivant comme modestes, jolies, propres, économes, bonnes cuisinières, pieuses et dignes. Elle a chuchoté à ma mère sa véritable pensée, concluant que Dieu l'avait bénie en lui inspirant d'habiter cette maison où toutes les femmes vivent comme des sœurs.
Aventures Enfantines sur la Terrasse
Les enfants de la maison m'ont invité à jouer. Nous étions un groupe de quatre garçons et trois filles. L'aînée, une fillette de neuf ans, m'a prise sous sa protection. Nous avons grimpé sur la terrasse et avons organisé un salon de réception avec de vieilles couvertures et des peaux de mouton.
Une boîte de conserves rouillée servait de samovar, et des cailloux faisaient office de verres à thé. Nous avons siroté un thé mythique et mangé des gâteaux imaginaires. Ensuite, nous avons joué à la mariée, la plus petite des filles étant choisie pour le rôle. L'aînée, la negafa, est allée chercher des accessoires pour le maquillage et l'habillage de la jeune fiancée.

Le jeu de la mariée : Un jeu traditionnel où les enfants imitent une cérémonie de mariage, avec des rôles et des rituels spécifiques.
Le Drame de la Terrasse et le Mot "Pacha"
Le Drame Éclate
Un garçon a jeté de la terre sur notre mariée, déclenchant un chaos. La mariée et les invités ont hurlé, se sont battus et ont couru, le visage barbouillé de larmes. Je hurlais sans savoir pourquoi, essayant de me dégager de la grande fille qui tentait de me calmer.
Intervention Adulte
Une femme est montée, a distribué des taloches et des insultes, nous traitant de démons. Elle m'a ramenée à ma mère, qui m'a reproché injustement et menacé de ne plus jamais m'emmener nulle part. Je me suis sentie vouée à la solitude.
Le Mystère du Pacha
Ma mère et Lalla Aïcha ont discuté à voix basse, le mot "pacha" revenant plusieurs fois. Ce mot m'impressionnait et me mettait mal à l'aise, l'associant à un personnage cruel qui bastonnait les gens et les laissait mourir en cachot. Pour les petites gens, le pacha était synonyme d'ennuis et de douleurs.
Le Récit de la Trahison de Moulay Larbi
Le lendemain, mon père est rentré pour le déjeuner. Ma mère, soupirant, a raconté les tristes événements de la veille à Lalla Aïcha. Moulay Larbi, le mari de Lalla Aïcha, s'était disputé avec son associé, Abdelkader. Ma mère a invoqué Dieu pour nous protéger des "fils du péché".
La Générosité de Moulay Larbi
Abdelkader, qui n'avait rien, fut pris comme ouvrier par Moulay Larbi, qui le traita avec bienveillance, lui prêta de l'argent et le recevait souvent. Abdelkader était poli et louait la générosité de Moulay Larbi. Ensemble, ils produisaient des babouches brodées très réputées.
Lorsque Abdelkader voulut se marier et eut besoin d'une dot, Moulay Larbi lui avança quatre-vingts rials sans méfiance, sans reconnaissance de dette. Pour l'aider davantage, il l'associa même à son affaire.
La Trahison d'Abdelkader
Abdelkader a nié avoir reçu l'argent et a même prétendu avoir versé la moitié du capital de l'affaire. Le Pacha n'a accepté aucune des versions. Un garde a réclamé une somme fabuleuse pour les réconcilier. L'affaire a été portée devant le prévôt des marchands, puis devant des experts de la Corporation, qui ont finalement tranché en faveur d'Abdelkader. Ma mère déplorait l'absence de justice.
Le Monde Intérieur du Narrateur
Pendant que ma mère racontait l'histoire de Moulay Larbi, j'écoutais les grains du chapelet de mon père. Zineb jouait avec le chat, lui promettant miel, beurre et gâteaux. Je la trouvais sotte, car les chats ne mangent pas de miel et un chat en turban serait ridicule. Je pensais qu'elle ne savait pas jouer.
« Moi, j'avais des trésors cachés dans ma Boîte à Merveilles. J'étais seul à les connaître. Je pouvais m'évader de ce monde de contrainte encombré de pachas, de prévôts des marchands, et de gardes vénaux et me réfugier dans mon royaume où tout était harmonie, chants et musique. »
J'avais pour compagnons des héros et des princes équitables. Pour entendre leurs exploits, je me promettais d'aller écouter Abdallah, l'épicier, que je n'avais jamais vu mais qui occupait une place importante dans mon univers. Toutes les histoires merveilleuses que j'avais entendues, je les lui attribuais. Mon père a même consacré une soirée entière à raconter des histoires d'Abdallah, qui ont obsédé mon imagination durant toute mon enfance.
Abdallah, l'Épicier Conteur
Mon père a raconté l'histoire d'Abdallah, un épicier de Haffarine. Ses histoires sont rarement amusantes, se terminant brusquement, sans effets ni conclusions apparentes. Abdallah ressemble étrangement à ses histoires, plein de poésie et de mystère. Il tient boutique dans une ruelle fraîche et peu fréquentée, vendant des objets poussiéreux.
Il a peu de clients mais beaucoup d'amis. Depuis longtemps installé, son fonds de commerce consistait en balais de palmier nain, couffins, ficelle et boîtes d'épices, dont le volume a peu diminué. Abdallah raconte des histoires sans cesse, sans sourire, au rythme solennel de son chasse-mouches, sans formules de bénédiction. Il conte des batailles, des idylles, des voyages, ou de simples disputes quotidiennes. Tous l'écoutent subjugués, qu'ils l'aiment ou le détestent.
La Sagesse d'Abdallah et les Jugements des Hommes
Abdallah semble détaché, indifférent à l'amour ou à la haine. Ses amis le qualifient de sage, poète, voyant, tandis que ses ennemis le traitent de menteur, hypocrite, sorcier. Un notable malveillant a même demandé au chef du quartier d'écouter ses histoires, y voyant des critiques du Maghzen. Un autre affirmait que le Maghzen le payait pour abrutir la population.
Abdallah répond à tout cela par des histoires. Le chef du quartier est devenu un auditeur assidu. Abdallah prétend ne rien savoir, car les vrais savants doivent dire et écrire la vérité. Il cite l'exemple d'un savant dont les écrits, exposés sur la Kaaba, sont restés intacts, prouvant que la vérité est indestructible. Il conclut : "Je ne suis pas un Savant, mes histoires entrent par une oreille et sortent par l'autre."
Les histoires d'Abdallah subissent le sort de toutes les histoires humaines : certains en rient, d'autres en pleurent. À un enfant qui lui dit avoir lu une plus belle histoire dans un livre, Abdallah répond : "Celle que je t'ai racontée n'est que dans un seul livre, c'est celui-ci..." et il désigna son cœur.
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